dimanche 30 août 2009

Omar et Jayce

Bonjour Omar,

Moi je m’appelle Jayce Lee Dugard. Je vis à South Lake Tahoe… Je vivais à South Lake Tahoe… Excuse-moi, je ne sais plus vraiment où je vis. Remarque, ce n’est pas très important où je vis, c’est un détail… Tu ne me connais pas et moi non plus je ne te connais pas. J’ai lu ta lettre. Ça m’a beaucoup touché. Parce que nos vies se ressemblent. Même si elles sont très différentes.

Je ne m’attarderai pas trop sur les différences parce que je ne sais pas comment en parler. Je suis mal à l’aise de le faire. Tes parents étaient très croyants. Les miens… je ne me souviens pas. Il devait l’être mais pas autant que les tiens. Je me souviens toutefois que j’avais une vie normale comme tous les enfants du voisinage. Je ne sais pas qui étaient tes voisins. Tu ne le mentionnes pas. Mais ce n’est pas vraiment important je crois.

Fini pour la jeune enfance parce que nos vies commencent à 11 ans. Ce n’est pas ce que je veux dire. Nos histoires commencent à 11 ans. Oui je crois que c’est mieux comme ça. C’est mieux de parler d’histoire que de vie. Parce que nos vies n’ont rien à voir avec LA vie. Nos vies, ce sont des histoires. Mais pas des histoires à raconter. Des histoires qu’on aimerait mieux ne pas raconter.

Des histoires qu’on aimerait qu’elles soient que des histoires. Mais comme tu sais, c’est des histoires vraies. Des histoires vraies qu’on aimerait qu’elles n’existent pas. Mais bon, comme tu as probablement compris, on ne vit qu’une fois. Et on ne peut pas changer la vie. On ne peut pas changer le passé.

À 11 ans, ton père t’a envoyé dans un camp d’entraînement d’al-Qaïda. Je ne sais pas si tu as l’impression qu’on t’a volé ta vie à partir de ce moment-là? Moi je me suis fait kidnapper à l’âge de 11 ans. Pour moi ce n’est pas une impression. À 11 ans, on m’a volé ma vie. Toi, c’est ton père qui t’a volé ta vie. Moi, c’est un inconnu.

Est-ce que c’est vraiment important que ce soit un père ou un inconnu? Oui, je pense que c’est important. Dans les deux cas, c’est des adultes qui ont abusé de la petite personne sans défense qu’on était à l’époque. Remarque, je crois que c’est plus pire lorsque c’est ton père qui te vole ta vie pour en faire une histoire. C’est plus pire si c’est ton père parce que si lui ne te protège pas, qui va le faire?

Tu le sais comme moi, lorsque tu as 11, 12, 13 ou 14 ans, c’est facile de nous faire peur. À cet âge-là, on est sans défense. Les adultes peuvent nous faire faire toute sorte de choses par la peur. Toi on t’a montré à tuer les autres. On t’a montré à utiliser des fusils et des grenades, des vrais fusils et des vraies grenades. Les petits gars aiment ça jouer à la guerre. Mais toi on ne te demandait pas de jouer. On te demandait de tuer. Je n’aurais pas aimé ça être à ta place.

Tu n’aurais probablement pas aimé ça être à ma place non plus. Les petits gars jouent à la guerre. Les petites filles, nous autres ont jouent à la poupée. Avec mon kidnappeur, je n’ai pas joué à la poupée. Non, moi j’ai eu à jouer à la maman. Je l’ai fait parce que j’avais peur. Comme toi, je n’avais pas le choix de le faire. Tu comprends que je ne veux pas entrer dans les détails.

Il y a une chose dont il faut que je te parle. Il y a quelque chose de curieux entre nos deux histoires. Avec le temps qui passait, moi, personne ne savait que j’existais sauf mon kidnappeur et sa femme. Mes parents m’avaient presque oublié. Pas qu’ils m’avaient complètement oublié mais ils ne pensaient pas me revoir. À leurs yeux, j’étais disparue à jamais.

Maintenant que je me suis présentée au poste de police, tout le monde veut m’aider. Tout le monde comprend que j’ai été abusé. Tout le monde comprend que j’étais sans défense. Même si mes enfants sont bien vivants, tout le monde sait que ce n’est pas ce que je voulais faire. Tout le monde me voit comme la victime d’un kidnappeur d’enfants. Personne ne m’accuse d’avoir fait deux enfants parce qu’ils comprennent que tout ça s’est fait sous la peur.

Ce que je trouve curieux entre nos deux histoires, c’est que maintenant que les gens savent que j’existe, tout le monde veut m’aider. Et ceux qui le peuvent, ils font tout pour le faire. Toi, c’est différent parce que depuis le début de ton histoire, tout le monde sait que tu existes. Mais très peu de gens veulent t’aider. Du moins, ceux qui pourraient t’aider, le gouvernement Harper entre autres, ne semblent pas vouloir le faire.

Je ne comprends pas pourquoi ton gouvernement ne veut pas t’aider. Il a pourtant signé l’entente internationale sur les enfants soldats. Me semble que c’est ça que tu es un enfant soldat. Dans cette entente, il est dit qu’on doit porter secours à un enfant soldat. Pourquoi ton gouvernement ne te porte pas secours? Pourquoi il ne comprend pas que tu as été endoctriné?

Aye! On avait le même âge lorsque nos histoires ont commencé. Je comprends très bien la peur que tu devais ressentir. Tu n’as sûrement pas tué le soldat parce que c’est ça que tu voulais faire. Si j’étais Canadienne, est-ce que ton gouvernement penserait que je voulais deux enfants?

Moi mon histoire est finie. Pas complètement finie parce que je vais devoir passer à travers le procès. Déjà j’ai des remords d’avoir eu des enfants. C’est quand même incroyable, je me sens coupable d’avoir eu des enfants avec mon kidnappeur. C’est toujours bien pas de ma faute, j’avais tellement peur. Tu ne peux pas imaginer comment j’étais terrifiée.

Toi aussi tu devais être terrifié avec les bombes, les grenades et les fusils. Comme moi, tu dois également te sentir coupable d’avoir tué un soldat américain. Si tu l’as tué évidemment. Contrairement à moi avec mes deux enfants, ça ne semble pas très clair dans ton cas si tu l’as fait ou non. Tu ne dois pas comprendre ce qui se passe autour de toi. Je te comprends. On veut se sortir de là mais comment faire? Tu dois te sentir impuissant.

Le pire dans ton histoire est que le gouvernement Harper qui pourrait t’aider ne fait rien en ce sens. Si tu veux mon avis, ce n’est pas ça avoir du leadership. Et c’est encore moins du leadership lorsqu’au lieu d’agir, tu essaies de gagner du temps en allant demander des avis aux tribunaux. Avoir du leadership, ce n’est pas se défiler. Avoir du leadership, c’est agir.


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