dimanche 20 juillet 2008

Dualité

L’actualité est provocante depuis quelques semaines. Après la nomination d’Henry Morgentaler pour l’Ordre du Canada, voilà qu’elle m’amène à parler d’Omar Khadr; un cas extrême tout comme l’était celui de Morgentaler en ce qui concerne les valeurs. Ce qui pour nous chers lecteurs, est un avantage. Effectivement, les cas extrêmes nous permettent de valider la véracité et l’intégrité de nos schèmes de pensée. Cette semaine donc, on s’intéresse à la relation entre l’humain et le système, la relation entre le gestionnaire et l’organisation.

On ne peut trouver meilleure situation que le cas Khadr pour prendre conscience des dilemmes auxquelles un gestionnaire peut être confronté. Une confrontation entre les valeurs de l’individu et celles de l’organisation qu’il représente.

Par organisation, je fais référence à la personne morale, la structure institutionnelle, qui est autonome par rapport aux lois, aux règlements, et idéalement, indépendante face aux individus qui assurent son fonctionnement. Dans le cas Khadr, l’organisation, c’est le Canada et son système étatique au sens large soit, les lois et les institutions. Pour ce qui est des valeurs de l’organisation, elles se retrouvent principalement dans la charte des droits et libertés ainsi que tous les règlements relatifs à la démocratie que l’on connaît.

Pour ce qui est du gestionnaire de l’organisation, c’est évidemment le parti au pouvoir et ses représentants. Actuellement, c’est donc le premier ministre Stephan Harper et son équipe qui sont les gestionnaires et dans une moindre mesure, les députés. On connaît les valeurs que préconise Monsieur Harper. Ce n’est un secret pour personne, lui et son gouvernement ont une approche qui est qualifiée de droite. Par exemple, dès le début de son mandat, il voulait modifier les lois afin que les jeunes contrevenants (moins de 18 ans) puissent être condamnés à des peines plus sévères – entendre des peines adultes.

Comme vous le savez, Omar Khadr a été capturé en 2002 à l’âge de 15 ans lors d’un combat armé contre des militaires américains. Après avoir été soigné de ses blessures et quelques interrogatoires, il a été transféré à la maintenant célèbre prison de Guantanamo sur l’île de Cuba. Il est aujourd’hui âgé de 21 ans.

Selon les lois canadiennes et internationales, Omar Khadr est un enfant-soldat. Ce qui veut dire que c’est un jeune individu qui a été entrainé à prendre les armes par des adultes et ce, contre son gré. Les valeurs de l’organisation – le Canada, et d’ailleurs l’ONU – considèrent qu’un enfant-soldat n’a pas la maturité nécessaire pour comprendre son rôle, ses actions et les conséquences qui en découlent lorsqu’il est impliqué dans un conflit armé. Dit simplement, les valeurs de l’organisation demandent que les adultes considèrent les enfants-soldats comme étant des individus qui ont besoin d’aide et non pas des individus à être jugés comme des criminels par les autorités.

Soyons juste en mentionnant que les activités de la famille Khadr n’aident en rien le jeune Omar à sortir de Guantanamo. Le père a été tué au Pakistan alors qu’au même moment, l’un de ses frères était blessé au point qu’il est maintenant paralysé des membres inférieurs. Son autre frère a été arrêté pour suspicion de terrorisme à Kaboul. Et sa sœur qui a déclaré que si Omar a tué un soldat américain, c’est une bonne chose! Bref, une famille atypique. C’est de famille mais c’est indirectement la définition d’un enfant-soldat : un enfant qui a été endoctriné à prendre les armes contre son gré ou à l’encontre de son aptitude à comprendre de lui-même le monde qui l’entoure.

Malgré les démarches de plusieurs personnes qui demandent au Canada d’intervenir pour aider son citoyen – Khadr – à sortir de Guantanamo, les gestionnaires canadiens répondent que leurs homologues américains le traitent selon les lois internationales. Ce qui n’est pas le cas, les États-Unis considèrent Khadr comme un terroriste et non un enfant-soldat en fonction de son âge lorsqu’il a été fait prisonnier.

Lorsque Khadr est arrivé à Guantanamo, c’est le parti libéral qui était au pouvoir et ils ont laissé aller les choses. Peut-être parce qu’ils n’avaient pas eu le temps de comprendre correctement la situation. Depuis, le dossier s’est clarifié et la communauté internationale est d’accord pour admettre que Khadr n’est qu’un enfant-soldat.

Aujourd’hui, compte tenu de la philosophie de droite du parti conservateur, faut-il se surprendre que le Canada refuse de se porter à la défense de Khadr? L’inaction du gouvernement Harper se comprend aisément. Ses valeurs (juger les jeunes contrevenants comme des adultes) et celles de l’organisation (aider les enfants-soldats) sont diamétralement opposées.

Du point de vue leadership, on constate qu’il y a une importante faille dans la position du gouvernement Harper. Lui et son équipe agissent à l’encontre des valeurs de l’État. D’une certaine façon, Harper brime le désir de l’État – exprimé par nos lois – de venir en aide à son citoyen. En fait, le gouvernement Harper agit contrairement aux valeurs inscrites dans les lois qui reflètent les valeurs canadiennes et internationales. Pourtant, Omar Khadr a besoin d’aide pour se libérer de l’endoctrinement qu’il a subi au sein de sa famille.

Là où le bât blesse et ce qui nous intéresse dans l’affaire Khadr, c’est lorsque le gestionnaire (actuellement le gouvernement Harper) cesse d’endosser les valeurs de l’organisation (le Canada) et ainsi, n’assure plus le bon fonctionnement des règles et procédures de ladite organisation. À ce moment, le gestionnaire contrevient à son rôle premier qui est d’assurer le fonctionnement de l’organisation en fonction des balises (lois, règlements, procédures, etc.) qu’elle lui donne.

Par chance, rares sont les gestionnaires qui ont à faire face à des situations aussi complexes que le cas Khadr. Toutefois, des enjeux similaires se retrouvent dans toutes organisations structurées et considérées comme étant une personne morale.

Tôt ou tard, toutes organisations confrontent ses gestionnaires à prendre des décisions où les valeurs de l’un ne sont pas nécessairement en accord avec les valeurs de l’autre. C’est à ce moment que les dirigeants doivent être aptes à faire la distinction entre leurs valeurs personnelles et celles de l’organisation qu’ils représentent. C’est à ce moment que les gestionnaires doivent accepter qu’ils sont là que pour faire fonctionner l’organisation et non pour y faire régner leur propre vision du monde. Tout gestionnaire qui a le désir de mobiliser les autres par son leadership doit apprendre à faire face à cette dualité.

Souvenez-vous, ce n’est pas parce qu’on nous suit qu’on va nécessairement dans la bonne direction!
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