dimanche 6 décembre 2009

Heidi Rathjen: Le vrai leadership

Il y a vingt ans autour de 17 heures j’étais à l'École Polytechnique de Montréal. Je discutais avec Raymond près du café étudiant au 2e étage. Je ne sais pas exactement depuis combien de temps nous étions là. On n’avait pas très faim mais on savait qu’un peu plus tard, il y aurait achalandage. On s’est donc dirigé vers la cafétéria située au premier. On a placé nos sacs sur une table pour se libérer les mains et on s’est dirigé vers la file pour aller chercher notre repas.

Avec la fin de session, les travaux à remettre et l'approche de la période d’examens, il y avait beaucoup de monde à Polytechnique. Mais il n’y avait pas trop de monde dans la file d’attente. On avait eu la bonne idée; aller souper plus tôt afin d’éviter la cohue de fin de session.

On est retourné à nos places une fois nos cabarets bien garnis, un repas spécial de Noël. Me semble qu’il y avait même une petite coupe de vin dans un verre en plastique mais ce détail n’est pas clair dans ma mémoire. Peu importe vin ou non, on a commencé à manger.

On a eu à peine le temps de prendre quelques bouchées que le DG de la librairie est arrivé en trombe dans la cafétéria. "Sortez! Sortez! Il y a un tireur au 2e étage!" Sur le coup, les gens assis aux tables n’ont pas vraiment réagi. Comme moi et Raymond, peut-être ont-ils cru à une blague de mauvais goût?

"Sortez! Je viens d’avoir un téléphone des bureaux de l’administration. La réceptionniste est blessée. Il tire sur le monde dans l’École. Il est présentement au 2e étage. On ne sait pas où il s’en va." Ce deuxième appel à tous a fait réagir la majorité des gens.

Il y avait deux accès à la cafétéria. L’un d’eux donnait sur la sortie de l’édifice. Nombreux sommes-nous à nous être dirigés dans cette direction. Au moment où je passais la porte de la cafétéria, j’ai entendu un bruit sourd. J’ai pensé à une détonation d’arme à feu. Le tireur venait-il d’entrer dans la cafétéria?

La sortie de la cafétéria jouxte la sortie de l’édifice. Tout le monde sortait à l’extérieur sans manteau. Peut-être parce que je croyais savoir où est le tireur, il venait d’entrer dans la cafétéria par l’autre porte, j’ai décidé de remonter à l’étage par l’escalier près du poste de garde. Je voulais aller à mon casier pour aller chercher mes choses avant de quitter pour la fin de session. Une idée bizarre, même 20 ans plus tard.

Je suis remonté jusqu’au quatrième étage par les escaliers. J’ai marché dans les couloirs avec une certaine crainte. Je me suis rendu à mon casier. J’ai pris mes effets personnels, mes livres, mon manteau. Je suis redescendu par un autre escalier qui donne sur la cour arrière. À chaque racoin, mon niveau de stress augmentait, allais-je tomber face à face avec le tireur?

Une fois à l’extérieur, je ne savais trop où aller. Par où me diriger? Une voiture venait vers moi. Elle s’est arrêtée à mes côtés. J’ai ouvert la porte du passager. Je connaissais le conducteur, j’ai monté dans la voiture. On s’est dirigé chez l’un de ses amis qui habitait sur Édouard-Montpetit juste en face de l’Université. On a ouvert la télé pour savoir ce qui se passait. On voyait les ambulances circuler sur le campus. On savait que ce n’était pas normal.


Pour quelques minutes ou quelques dizaines de minutes de plus ou de moins, j’aurais pu être un témoin direct de la tuerie de Polytechnique. J’aurais pu être blessé comme d’autres hommes l’ont été. Malgré cette proximité avec la mort, malgré le souvenir que j’en garde, Polytechnique n’a pas été un élément déclencheur pour me faire passer à l’action.

Je ne crois pas être le seul à avoir tourné la page avec sa propre histoire du 6 décembre. Tout le monde se souvient de cet événement, à sa façon. Vingt ans plus tard, lorsque je dis que j’ai étudié à Polytechnique, on me demande si j’étais présent le 6 décembre 1989. Tout le monde a en tête Polytechnique, même les gens d’outremer.

Tout le monde a connaissance de la tuerie de Polytechnique. Par contre, tout comme moi, très peu ont pris action afin qu’une fois pour toutes, on puisse dire Plus jamais.

Pour moi qui s’intéresse au leadership, 20 ans plus tard, je me demande pourquoi est-ce que je n’ai rien fait pour que Plus jamais. Peut-être parce que je suis un homme? C’est les femmes qui étaient visées dans cette bêtise humaine. Pourquoi ne pas m’avoir impliqué pour que Plus jamais alors que je me suis impliqué à fond dans Ingénieurs Sans frontières Québec? Que faut-il pour être interpellé pour qu’on en vienne à agir?

Lorsque j’étais à Polytechnique, je suivais de près les activités de l’association étudiante. Sans y être directement impliqué, j’aimais publier mes idées dans le journal étudiant, Le Polyscope. Ma proximité avec la vie étudiante m’a permis de connaître différents intervenants dont Heidi Rathjen.

Heidi était très impliquée dans les comités étudiants. Après le 6 décembre, son implication a pris un tournant. Heidi a été la cofondatrice de la coalition pour le contrôle des armes. Par ses efforts, sa détermination, ses convictions, elle a travaillé sans relâche pendant 10 ans pour contrecarrer le lobby des armes à feu.

Essayez de comprendre! Au moment d'écrire ces lignes, il y a un projet de loi au parlement d’Ottawa dont l’objectif est de mettre au rancart le registre des armes à feu. Registre qui a vu jour suite aux nombreuses démarches de la coalition mise en place par Heidi Rathjen et Wendy Cukier

Vingt ans après Polytechnique, il faut admettre que Heidi Rathjen est un modèle à suivre. Cette femme nous démontre que le leadership, ce n’est pas de suivre la parade. Le leadership, c’est être au-devant de la parade. Le leadership, c’est créer la parade.

Le leadership, c’est défendre ses idées. Le leadership, c’est se battre afin que les idées auxquelles on croit puissent faire leur chemin au sein d’un groupe, au sein de la société. Le leadership, c’est agir selon nos convictions profondes. Le leadership, c’est agir afin de créer un monde meilleur. Le leadership, c’est prendre action afin de développer un monde plus juste.

J’ai vécu de très près les événements de Polytechnique. Vingt ans plus tard, je m’intéresse au leadership. Vingt ans plus tard, je tiens à rendre hommage à Heidi Rathjen. Je tiens à lui rendre hommage pour sa détermination. Lui rendre hommage pour son courage à faire avancer la société afin que Plus Jamais Polytechnique. Lui rendre hommage pour sa démonstration exemplaire de ce qu’est le vrai leadership.


Livre de Heidi Rathjen :
6 décembre De la tragédie à l’espoir: les coulisses du combat pour le contrôle des armes

Site Internet, Coalition pour le contrôle des armes

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