dimanche 14 septembre 2008

Entrainement

ATTENTION. Le texte ci-dessous aborde un sujet très sensible, l’avortement. À sa lecture, il est possible que certaines personnes soient choquées, bouleversées ou offusquées. Conséquemment, il est également possible que certaines personnes ne soient pas d’accord avec mes arguments. Je respecte à l’avance vos opinions. Je souhaite également que l’inverse soit vrai.

Le but du texte ci-dessous est de démontrer qu’il n’est pas toujours facile d’être objectif dans nos activités et actions quotidiennes. En l’occurrence, il est possible que je sois moi-même subjectif en tentant de démontrer l’importance de l’objectivité. Veuillez m’en excuser à l’avance.

Par souci de transparence, je précise que dernièrement, j’ai fait un blogue intitulé Détermination. J’ai écrit cet article lorsque les médias ont annoncé que la gouverneure du Canada, Michaëlle Jean, octroierait la décoration de l’Ordre du Canada au Dr Henry Morgentaler.

Pour terminer cette mise en garde, certains passages ci-dessous, par exemple le paragraphe qui suit, peuvent donner l’impression d’un manque de sérieux. Pourquoi utiliser ce style littéraire? D’une part, cela fait partie de ma personnalité. J’aime prendre un ton moqueur à l’occasion. D’autre part, cela permet au texte de devenir en lui-même un exercice visant à développer l’objectivité. Il nous exerce à faire la distinction entre les propos d’un individu et ses réelles intentions. Bonne lecture!


Après Le Meneur! de septembre intitulé Tout es relatif, je vous ai dit la semaine dernière qu’avec le lancement des campagnes électorales ici au Canada et chez nos voisins du Sud, que nous allions baigner dans une mer de relativisme. Après mon je-ne-peux-avoir-choisi-un-meilleur-moment, voilà mon jamais-je-n’aurais-cru-si-bien-dire!

Certes, cette semaine, au lieu de me lancer dans un sujet à controverse, j’aurais pu me la couler douce en abordant le sempiternel projet du CHUM qui, je suspecte, tente de nous rendre malade avec les multiples reports et nombreuses tergiversations! Nous rendre malade, le CHUM… Passons, car me la couler douce, ce n’est pas ma tasse de thé, comme diraient les Anglais. J’ai donc opté pour du plus concentré, un genre d’espresso. Dans les circonstances, veuillez S.V.P. ne pas oublier qu’un gars averti en vaut deux comme le dit si bien l’adage.

Cette semaine, c’est donc jeudi à 13h09 que l’espace-temps s’est déformé… Mais quoi? On parle de relativisme! D’accord, un peu de sérieux… Je m’applique… Concentration… C’est donc jeudi à 13h09 après les nouvelles de 13 heures à la radio que j’ai tendu l’oreille à Maisonneuve en direct. Il était question de LA nouvelle du jour… Le retour de la décoration de l’Ordre du Canada de Monseigneur Jean-Claude Turcotte pour protester contre l’octroi de ce même Ordre au Dr Henry Morgentaler.

Je vous l’avais dit que c’est du concentré… Je dirais même plus, un Big Bang de relativisme… Espace-temps, Big Bang, vous voyez le lien? Il aurait été difficile de ne pas mentionner le Big Bang avec la mise en service du LHC! Comme quoi on n’est pas toujours obligé de se prendre au sérieux malgré le sérieux du sujet.

En entrevue à la radio, Monseigneur Turcotte expliquait à Monsieur Maisonneuve qu’il ne pouvait garder sa décoration de l’Ordre du Canada étant donné que Monsieur Morgentaler était également pour la recevoir. Pour Monseigneur Turcotte, l’avortement est un acte qui va à l’encontre de ses croyances. Autrement dit, il ne peut être associé à la même Décoration qu’une personne qui ne partage les mêmes valeurs.

Jusqu’ici, rien de répréhensible en soi. Qu’un cardinal-archevêque décide de retourner une Décoration par intégrité et respect de ses valeurs, je respecte cela. Toute personne a le droit d’agir en accord avec ses profondes convictions. C’est un droit inaliénable dans un pays démocratique. Au risque de me répéter, je respecte cela au plus haut point.

Par contre, dans le cas d’une personne qui a un ascendant sur les autres, par exemple un gestionnaire ou dans ce cas-ci un cardinal-archevêque, il est important de s’assurer que les intentions personnelles ne soient déportées vers le collectif. Autrement dit, un gestionnaire qui aspire faire preuve de leadership doit être apte à faire la distinction entre ses besoins, ses désirs et ses valeurs personnelles et les besoins, désirs et valeurs de son équipe (besoins, désirs et valeurs collectifs). Le gestionnaire qui veut exercer du leadership doit être capable de reconnaître ses motivations personnelles afin de ne pas utiliser son équipe pour satisfaire ses propres besoins (promotion, bonus, prestige, etc.). Il doit être apte à déceler ce qui le motive par souci d’intégrité et de respect pour les gens qui l’entourent.

C’est ce qui explique que la semaine dernière je vous parlais de l’importance de s’entrainer afin de devenir plus objectif. On a tendance à voir en soi de l’objectivité. On a tendance à croire qu’il y a foncièrement accord entre nos valeurs et nos actions. Alors que chez les autres, notre tendance est de voir de la subjectivité. Est-ce mon cas face à Monseigneur Turcotte? Je prends des risques mais commençons l’entrainement.

Au début de l’entrevue (1:55)*, Monseigneur Turcotte explique que dans son cas, la décoration de l’Ordre du Canada a été octroyée à un individu et non à une institution. Autrement dit, que la Décoration qu’il a reçue est intimement liée à sa personne et ses valeurs. Dans les circonstances, sa décision de la retourner est tout aussi personnelle et vise le respect de son intégrité morale.

Tout cela semble bien noble à première vue, Monseigneur Turcotte explique qu’il agit par intégrité en fonction de ses valeurs. D’accord mais dans ce cas-là, aurait-il été possible de retourner la décoration de l'Ordre par courrier avec une lettre explicative à la gouverneure générale? Comme il le dit, son silence aurait pu être interprété comme une concession au politically (8:05)… c'est-à-dire une concession et son accord à l’octroi de la Décoration au Dr Morgentaler.

Voilà ce à quoi l’on doit être vigilant lorsqu’il est question de leadership. Certains nous parlent de beaux principes pour lesquels la majorité va se dire d’accord alors qu’en réalité, leurs intentions sont tout autre. Ici, Monseigneur Turcotte nous explique qu’il retourne l’Ordre du Canada par respect de ses croyances alors que dans les faits, son désir est de relancer le débat sur l’avortement. « Je suis très conscient que mon intervention va foutre le bordel. » (7:50)

Poussons plus loin l’entrainement. Avant de suivre un leader, il faut avoir l’assurance de ses réelles motivations. Monseigneur Turcotte explique qu’il ne peut accepter avoir la même Décoration que le Dr Morgentaler parce que comme catholique, il est convaincu que le respect de la vie va du début (de la conception) jusqu’à la fin. « On n’a pas à choisir les vies humaines que l’on protège à celle que l’on ne protège pas! » Qu’au nom de ce principe, l’église à laquelle il appartient va défendre autant le fœtus que l’enfant infirme, les pauvres, les laissés pour compte. Autant ils vont s’opposer à la guerre parce que la guerre touche à la vie humaine. (2:17)

Monseigneur Turcotte avance qu’il retourne sa Décoration parce qu’il s’est senti très interpellé dans sa conscience (7:40). Encore une fois, il tente de montrer que sa motivation est très profonde en lui. Est-ce réellement le cas? Est-il mu par le respect de la vie ou simplement par une partisanerie politique?

Le Canada est en guerre contre les talibans depuis 2001. Près de 100 militaires canadiens ont été tués sans compter les nombreux civils et militaires afghans. Si l’Église catholique n’a pas à choisir qui elle défend, pourquoi ne pas avoir retourné la décoration de l’Ordre il y a 7 ans lorsque le Canada est entré en guerre? Pourquoi retourner l’Ordre parce qu’un individu a milité en faveur de l’avortement? Un geste pour lequel près de 70% de la population est d’accord. Par le retour de l’Ordre du Canada, est-ce que l’église choisirait qui elle protège ou agirait-elle par stratégie politique pour faire avancer ses croyances?

Je n’ai rien contre le fait qu’un groupe puisse intervenir politiquement dans la société. Par contre, sous l’angle du leadership, le double discours n’a pas sa place. Sous l’angle du leadership, on ne peut parler de valeur et de conviction alors que l’enjeu est avant tout politique et stratégique. Comme je le dis dans ma conférence Le Secret du leadership, si vous voulez motiver vos équipes, ne soyez pas stratégique, soyez authentique.

Il faut être vigilant lorsqu’un individu nous parle de ses motivations profondes. Parfois, notre intention est avant tout de voir les autres adhérer à nos idées. Lorsque c’est le cas, est-ce qu’on agit pour le bien collectif ou pour soi-même? Est-ce qu’on agit pour faire avancer les autres ou l’on tente de changer leur vision pour mieux rester campé sur notre confortable vision du monde? Tout gestionnaire qui aspire à faire preuve de grand leadership doit apprendre à maîtriser ses démons intérieurs et être honnête lorsqu’il en est question. Monseigneur Turcotte nous fait une belle démonstration en ce sens.

Après avoir dit que sa démarche était personnelle et en fonction de ses valeurs, Monseigneur Turcotte mentionne que l’assemblée des évêques et lui-même ont décidé de relancer le débat sur l’avortement (3:20). Autrement dit, d’une action qui était fondée sur des principes et valeurs personnels voilà que c’est l’assemblée des évêques qui entre dans un débat de société. Il dit : « Je pense qu’il faut revoir ces questions-là de façon intelligente et en profondeur… Cela étant donné qu’on a d’un côté le record des avortements et de l’autre, des gens qui font des manipulations génétiques pour avoir des enfants. » (5:45)

Ici, on se retrouve devant un autre défi pour l’aspirant-leader : la justesse des arguments. Monseigneur Turcotte avance que la société doit revoir la question de l’avortement avec intelligence et en profondeur. Est-ce que cela veut dire qu’en 1988, lorsque la cour suprême a décriminalisé l’avortement, que le jugement a été fait de façon inintelligente? Est-ce que cela veut dire que les juges de la cour suprême n’ont pas traité la question en profondeur?

Monseigneur Turcotte justifie son point de vue par le fait qu’on a au Québec le record des avortements et de l’autre, des gens qui font des manipulations génétiques pour avoir des enfants (5:55). Est-ce que cela signifie qu’on devrait interdire l’avortement et que les femmes auraient à mener à terme leur grossesse afin de donner leur enfant à l’adoption? Je n’ose imaginer le débat éthique et moral qui pourrait s’ensuivre d’une telle législation. Simple exemple, le principe des mères porteuses n’est pas accepté dans la majorité des pays du monde. Et que ferait-on du droit de la femme de disposer de son corps? Elles seraient dorénavant obligées d’enfanter sous peine d’être emprisonnées?

Comprenez-vous? Ce n’est pas facile d’être un leader? Ce n’est pas facile d’agir en fonction du bien du groupe et de l’équipe. Nous avons tous nos démons intérieurs, nos croyances et nos valeurs. Nous avons tous notre propre vision du monde qui nous rend subjectifs face à ce qui se passe autour de nous. Comme je le disais dans Le Meneur!, tout est relatif. C’est probablement ça le plus grand défi du leadership : devenir objectif afin d’être juste envers soi et les autres qui nous entourent. Devenir objectif afin que nos actions ne visent pas à imposer nos croyances aux autres.

La sortie publique de Monseigneur Turcotte est un bel exemple du défi que pose l’objectivité à tout gestionnaire. Ce n’est pas facile d’être objectif lorsque notre rôle n’est pas d’agir pour répondre à nos besoins et croyances. Pas facile d’être objectif lorsque notre rôle est d’agir pour le bénéfice du groupe.

La semaine dernière, je terminais mon blogue en mentionnant que l’objectivité se développe par l’entrainement. Avouez que le retour de la décoration de l’Ordre du Canada par Monseigneur Turcotte nous en propose tout un. Qu'en pensez-vous?

(x : xx)* Dans le texte, les chiffres entre parenthèses correspondent aux minutes de l’entrevue radio.

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