dimanche 23 novembre 2008

Roy! Roy! Roy! Patrick Roy!

Vous êtes à la tête de l’une des entreprises québécoises la plus admirée par la population. Dernièrement, vous avez embauché un ancien collaborateur pour lui donner un important poste de gestion au sein de l’organisation. Quelques mois après son arrivée, un conflit de personnalités se développe entre l’un de vos meilleurs employés et votre nouveau gestionnaire, son supérieur immédiat.

Au début, vous pensez que ce conflit va se régler de lui-même. Mais contrairement à vos attentes, la situation empire de jour en jour. Lors d’une journée d’intense activité, la tension éclate entre les deux protagonistes. Cela ne pouvait arriver à un pire moment, les caméras de télévision sont présentes lors de l’événement.

Selon ce qu’on peut voir sur les images captées, on comprend très bien que votre nouveau gestionnaire a décidé que c’est aujourd’hui qu’il allait mettre l’employé au pas. Dans les circonstances, on aurait pu croire que ce dernier allait adopter un comportement de soumission comme il est normal de l’observer dans une relation hiérarchique usuelle. Mais après avoir échangé un regard de totale insatisfaction avec son supérieur, l’employé passe devant vous et vous dit: C’est mon dernier jour de travail ici!

Sur le coup, vous ne pensez pas aux deux importants prix que cet employé vous a permis de gagner. Vous ne pensez pas non plus aux différentes distinctions qu’il a reçues de la part de l’industrie. Toutefois, vous savez que vous devez agir rapidement. La situation ne peut être tolérée plus longtemps car dorénavant, toute la population est consciente du conflit à l’intérieur de votre entreprise. Et que dire des conséquences de cet événement sur la crédibilité de votre gestionnaire auprès des autres membres du personnel?

Quelques jours plus tard, vous avez pris votre décision. Les médias annoncent que l’employé en question sera envoyé chez votre compétiteur. Il y a de fortes chances qu’après avoir fait votre choix et pour vous convaincre que c’est le bon, vous ne cessez de vous répéter la phrase que tout directeur des ressources humaines imbu de lui-même clame à qui veut bien l’entendre: il n’y a personne d’irremplaçable dans une entreprise!

Vous connaissez la suite de l’histoire. Patrick Roy a gagné deux autres Coupes Stanley avec l’Avalanche du Colorado; l’ultime objectif d’une équipe de hockey professionnel. Pendant ce temps, le Canadien de Montréal a fait la traversée du désert pendant laquelle il n’arrivait même pas à se qualifier pour la première ronde des séries éliminatoires. Cherchez l’erreur!

Bien entendu, l’échange de Patrick Roy pour des joueurs de second ordre a sans contredit été une erreur. Il serait donc impensable de ne pas regarder de plus près cet événement afin de mieux comprendre comment une entreprise en arrive à se départir de l’un de ses meilleurs employés. Scrutons plus en détail ce qui s’est passé en décembre 1995 afin de mettre en lumière deux importants obstacles au leadership au sein des organisations.

Dans un premier temps, il faut admettre que Patrick Roy est un leader. Il suffit de prendre connaissance des louanges qu’en font ses anciens collègues pour s’en convaincre. Plusieurs parlent de son énergie, son perfectionnisme pour atteindre l’excellence, sa détermination, sa passion inébranlable pour ce qu’il entreprend, etc. Tout le monde reconnaît Patrick Roy comme un gagnant. Il est de la trempe de ceux que les gens admirent pour ce qu’il est et ce qu’il fait.

Indéniablement, Patrick Roy est un leader. C’est également un humain et en ce sens, il n’est pas parfait. À quelques reprises, il a eu des comportements dignes d’un petit garnement. Ce qui démontre que le chemin du leadership est en fait un chemin parsemé d’embuches. Autrement dit, pour devenir un leader exemplaire, il faut apprendre à se connaître soi-même afin d’être en mesure de canaliser ses pulsions.

Apprendre à se maîtriser. Tout être humain doit faire ce cheminement. Dès le jeune âge, c’est à ça que sert une grande partie de l’éducation que l’on reçoit : apprendre à se maîtriser afin d’être socialement acceptable. Évidemment, avec le temps, la majorité d'entre nous arrive à canaliser ses pulsions. Si ce n’était le cas, je n’ose imaginer à quoi ressemblerait la vie en société.

Toutefois, le cheminement de Patrick Roy nous démontre que ce n’est pas facile d’avoir le contrôle de soi. Et encore moins lorsqu’on a de l’énergie et de la fougue à revendre. Ajouter à cela l’attention que les autres vous accordent, l’argent et le prestige pour comprendre que tôt ou tard, il y a un fort risque de dérapage lorsqu’on a un énorme pouvoir d’influence sur les autres.

Il est important de reconnaître que ce n’est pas facile de devenir un leader exemplaire. Il faut du temps pour apprendre à maîtriser nos pulsions. Il faut travailler sur soi-même par l’introspection afin de mieux se connaître. Il faut également un milieu qui est prêt à soutenir le leader à travers les obstacles qu’il rencontre dans son cheminement. Il faut que le milieu lui donne toutes les chances afin qu’il puisse se développer à son plein potentiel.

Voilà donc expliquer en quelques lignes le premier obstacle à l’émergence du leadership dans les organisations. On comprend donc que cet obstacle se trouve au sein de l’individu en qui sommeille un leader.

Pour sa part, le second obstacle se trouve du côté de l’organisation elle-même. Tout de même curieux n’est-ce pas? Comme tout le monde sait, les entreprises sont à la recherche de leaders. Comment pourraient-elles être un obstacle au leadership? En ce sens, il est important de comprendre que curieusement, autant les entreprises recherchent des leaders, autant elles en ont peur!

Pourquoi le leadership fait peur dans les entreprises? Tout simplement parce que bien souvent, les leaders ne sont pas les gestionnaires eux-mêmes. Bien souvent, c’est les employés qui ont du leadership sur leurs collègues. Vous comprenez que tout cela n’est pas sans conséquence. Pour contrer son manque de leadership dans de telles circonstances, un gestionnaire va généralement utiliser son pouvoir d’autorité pour tenter de mobiliser son personnel.

Bien entendu, l’autorité n’est pas la bonne méthode à utiliser pour mobiliser une équipe comme tout le monde sait. Et ce l’est encore moins pour mobiliser un leader. C’est toutefois ce qui explique que le leadership fait peur. Les gestionnaires sont généralement dépourvus face à un leader naturel comme l’était Patrick Roy au sein du Canadien. Les gestionnaires ont peur des leaders naturels car ces derniers échappent à leur contrôle.

Pour bien comprendre cette peur, on peut se demander pourquoi on a laissé Patrick Roy dans les buts alors qu’il demandait d’en être retiré après avoir été incapable d’arrêter la rondelle de l’adversaire à 9 reprises. La réponse est simple. Tout simplement parce qu’un gestionnaire voulait démontrer que c’est lui qui avait le pouvoir au sein de l’équipe.

Il faut le reconnaître, Patrick Roy est un bel exemple d’un leader qui échappe au contrôle de son supérieur. C’est également un bel exemple qui explique le manque de leadership dans les organisations. Le Canadien de Montréal a envoyé Roy au Colorado afin de préserver le pouvoir d’autorité d’un gestionnaire qui n’arrivait pas à canaliser l’énergie du leader naturel présent dans son équipe.

C’est un paradoxe quasi inexplicable. Les entreprises trouvent difficile de trouver des leaders et de développer le leadership organisationnel. Pourtant, lorsqu’elles ont des leaders au sein de leur organisation, elles ne trouvent rien de mieux que de les congédier pour préserver leur pouvoir d’autorité!

Rares sont les entreprises qui rencontreront un leader avec la détermination, la fougue et la compétence de Patrick Roy. Pour autant, cet événement démontre clairement les enjeux présents au sein des organisations. Plusieurs gestionnaires utilisent leur pouvoir d’autorité pour contrer le leadership des leaders qu’ils côtoient. Comme je le dis parfois : «On veut des leaders, à condition qu’ils fassent ce qu’on leur dit. On veut des leaders, à condition de garder le contrôle!».

Je ne sais pas quel type de problème vous rencontrez dans votre entreprise. Mais la prochaine fois que vous aurez l’impression qu’ils manquent de leadership dans votre entourage, prenez donc deux minutes pour penser à la dernière fois que vous avez congédié un Patrick Roy!

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