mardi 19 mai 2009

Mécanisme d'un abus de pouvoir

Vous avez sûrement entendu parler de l’événement dans les médias. L’étudiante de 39 ans, mère de deux enfants qui se fait interpeller par les policiers de Laval afin qu’elle pose la main sur la rampe de l’escalier mécanique qu’elle descend. La dame refuse et les policiers réitèrent leur demande. Elle répond qu’elle n’a pas trois mains – elle avait les mains dans le sac qu’elle portait. Elle ajoute également qu’elle ne veut pas attraper de virus sur la rampe malpropre.

Une discussion s’ensuit et devant le refus d’obtempérer de la dame, les policiers lui passent les menottes et l’arrêtent sur-le-champ. Après interrogation, ils lui donnent une contravention de 100$ pour ne pas avoir tenu la rampe et une amende de 320$ pour obstruction au travail d’un policier. Bonjour la police!

Imaginez un instant que la dame ait posé la main sur la rampe tel que demandé. Jamais on n’aurait entendu parler de ce fait divers dans les médias. À moins que derrière cette histoire, il y ait du profilage racial? Ce qui serait alors une tout autre histoire qui nous mènerait loin du leadership. Je ne m’avancerai donc pas sur cette avenue.

Pour mieux comprendre notre sujet fétiche, demandons-nous comment il se fait qu’une citoyenne se retrouve avec 420 $ à payer parce qu’elle n’a pas posé la main sur la rampe d’un escalier mécanique?

Revenons à la base, pourquoi les policiers ont-ils demandé à la dame de mettre la main sur la rampe de l’escalier? Peut-être voulait-il faire une démonstration gratuite de leur pouvoir? Peut-être voulait-il se moquer de cette dame envers qui ils avaient du mépris? Je ne sais trop mais jusqu’à preuve du contraire, c’était tout simplement une demande farfelue sans fondement logique – la majorité des gens ne tient pas la rampe d’escalier.

Pourquoi la dame a-t-elle refusé de poser sa main sur la rampe? Cela va de soi, sûrement parce qu’elle ne voyait pas la pertinence de le faire. De plus, elle avait déjà une main dans son sac, l’autre pour le tenir. Plus encore, elle ne voulait pas attraper de virus. À mes yeux, des raisons pertinentes lorsqu’on nous demande de poser un geste impertinent. Pour autant, on peut se demander si la réaction de la dame était de l’insubordination envers les policiers.

Cette dernière question est intéressante. L’insubordination, c’est parfois ce à quoi on pense dans les organisations. Si vous êtes gestionnaire, j’ai la certitude qu’il vous est arrivé au moins une fois de demander à un employé d’accomplir une tâche et que ce dernier a soit refusé, soit fait la tâche avec peu d’entrain. Vous vous souvenez de votre réaction? Vous vous souvenez de la réaction de votre employé? Plus important, vous souvenez-vous à quoi vous avez pensé? Insubordination?

Que se passe-t-il lorsqu’un employé refuse d’obtempérer? Que se passe-t-il lorsqu’on pense insubordination? Généralement, exactement ce que les policiers ont fait. Une escalade de mots dans le but de montrer qui aura le dernier. Une escalade de mots dans le but de montrer qui a le pouvoir. Une escalade de mots dans le but de montrer qui dit à l’autre ce qu’il doit faire.

Le fait divers de Laval nous montre que l’escalade de mots survient parfois lorsque l’autre ne voit pas la pertinence de faire ce qu’on lui demande. L’escalade de mots survient parfois lorsque l’autre n’accepte pas de se faire dire quoi faire sans justification appropriée. Parfois, l’escalade de mots survient parce que l’autre se sent brimé. Est-ce cela de l’insubordination?

On peut aisément comprendre qu’un policier ne puisse accepter de se faire dire «non» par un citoyen. Un policier représente le pouvoir. On ne peut pas lui dire non. Dans sa propre psyché, un policier ne peut pas se faire dire non car cela lui ferait perdre la face.

Imaginez simplement à quoi pourrait ressembler l’ordre public si les citoyens réagissaient ainsi : «L’espèce de con m’a demandé de me mettre sur le côté avec ma voiture. Je lui ai répondu va donc voir au coin de la rue si j’y suis. Je te dis que je l’ai bouché. Il a baissé les yeux et il est retourné d’où il venait». Tout simplement impensable comme scénario. Pour les policiers de Laval, c’était impensable que la dame n’obtempère pas à leur demande.

Dans les entreprises, les problèmes de leadership sont souvent dus au fait que certains dirigeants ont le même problème que les policiers de Laval. Dans leur psyché, ces dirigeants ne peuvent se faire dire non. Lorsqu’ils s’engagent dans une conversation avec leurs employés, ces dirigeants se doivent d’avoir le dernier mot. C’est dans leur nature d’avoir raison. Pour eux, ne pas avoir le dernier mot déclenche une alerte, chez certains un sentiment de panique. Dans de telles circonstances, quelques-uns viennent rouges de colère. D’autre se mettent à crier et s’agitent dans tous les sens. Évidemment, ce n’est pas la bonne façon de réagir.

On peut comprendre qu’un policier ne puisse accepter de se faire dire non. Bien entendu, cela ne veut pas dire pour autant qu’ils peuvent faire des demandes farfelues ou sans fondement. Pour ce qui est des gestionnaires par contre, en aucun temps une réponse négative ne devrait être perçue comme une atteinte à leur autorité.

Lorsqu’un gestionnaire se fait répondre non, il se doit d’éviter d’entrer dans une escalade de mots. Un gestionnaire n’a pas à avoir raison. Un gestionnaire doit plutôt comprendre les raisons qui incitent son personnel à lui dire non. Parfois, les motivations des employés à dire non sont beaucoup plus pertinentes qu’elles en ont l’air. Souvent, cela n’a juste rien à voir avec l’insubordination.

Le rôle du policier est d'arrêter dépendamment des circonstances. Le rôle du gestionnaire est de comprendre peu importe les circonstances.

Si jamais vous avez des problèmes de leadership, je vous suggère de prendre conscience du mécanisme d’un abus de pouvoir.


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3 commentaires:

  1. Je suis d'accord avec votre article.

    Diriez-vous qu'il y a des limites à être compréhensif envers ses employés?

    À mon avis, il est important que le gestionnaire écoute les raisons du "non". Il doit également rester ouvert d'esprit et montrer qu'il a le dernier mot (rester crédible auprès de ses employés).

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  2. Bonjour Madame Auclair,

    Merci de votre commentaire il aborde des questions très intéressantes.

    Est-ce qu’il y a des limites à être compréhensif envers les employés?

    Compréhensif (Petit Robert) : 1- Qui a la faculté de comprendre. 2- Qui est apte à comprendre autrui. 3- Qui embrasse dans sa signification un nombre plus ou moins grand d’être, d’idées.

    Je cite le Petit Robert car je l’ai utilisé avant de réfléchir à la question. Y a-t-il une limite à être compréhensif? Est-ce qu’il y a une limite à comprendre l’autre?

    Peut-être est-ce mes lunettes qui biaisent votre question? Mais j’entends derrière elle ce qu’on dit souvent dans le langage courant : "Y a toujours ben une limite. Là il exagère!"

    Je crois qu’il y a une grande distinction à faire entre comprendre l’autre et être d’accord avec l’autre. Dans le monde de la gestion et peut-être dans la population en général, il y a cette impression qu’être compréhensif, c’est donner raison à l’autre. Ce n’est pourtant pas le cas.

    C’est important de faire la distinction entre comprendre et donner raison. Ce n’est pas parce qu’on écoute un employé (pour mieux le comprendre) qu’on doit être d’accord avec lui ou lui accorder ce qu’il demande. Par exemple, je peux très bien comprendre que si je ne sais pas nager, je ne dois pas sauter à l’eau sans gilet de sauvetage. Pour autant, est-ce que cela m’oblige à sauter à l’eau?

    En général, on cherche à comprendre l’autre lorsqu’il y a un différend. Lorsqu’il y a un différend, il y a une solution à trouver. Solution qui va souvent faire place à un compromis; une solution mitoyenne satisfaisante pour les deux parties.

    Il n’y a donc pas de limites à être compréhensif parce que plus on comprend l’autre, plus on sera en mesure de trouver une solution satisfaisante pour tout le monde.

    Bien tendu, il peut arriver que le compromis ne soit pas possible. Il peut arriver qu’on ne trouve pas un terrain d’entente. Il peut arriver que le gestionnaire doive trancher pour assurer la pérennité de l’organisation. Pour autant, cela ne l’empêche pas d’être compréhensif.

    Être compréhensif, c’est être à l’écoute de l’autre. Être compréhensif, c’est démontrer le respect qu’on a pour l’autre.

    Le gestionnaire doit également rester ouvert d’esprit et montrer qu’il a le dernier mot (rester crédible auprès de ses employés).

    Ici, vous exprimez très bien les craintes de nombreux gestionnaires. La crainte de perdre leur crédibilité. Craintes souvent combattues en s’assurant d’avoir le dernier mot. Avoir le dernier mot, c’est justement ce qui fait perdre la crédibilité de nombre de dirigeants.

    Avoir le dernier mot, ça laisse croire qu’on ne fait jamais d’erreur. Avoir le dernier mot, ça laisse croire qu’on est parfait. À ce que je sache, personne n’est parfait.

    Les employés ne sont pas dupes. Ils n’ont peut-être pas les diplômes pour accéder aux postes de gestionnaire. Ils n’ont peut-être pas le tempérament pour être entrepreneurs. Ils n’ont peut-être pas les compétences pour diriger une équipe. Pour autant, en général, ils sont aptes à comprendre ce qui fait à sens et ce qui n’a pas de sens. En général, ils sont donc également aptes à comprendre lorsque leur supérieur prend une mauvaise décision.

    Chercher à avoir le dernier mot pour garder sa crédibilité, c’est la pire chose à faire. À moins que notre désir est de se mettre le doigt dans le mécanisme d’un abus de pouvoir.

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  3. Monseur Lanthier,

    Votre point de vue est noble, car il fait preuve d'une grande ouverture d'esprit. Le besoin d'avoir toujours raison est un défaut que nul ne doit encourager. On peut parler d'insubordination lorsqu'il n'y a aucune discussion entre les deux parties et que la témérité prend le dessus.

    Marie Juste

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